Vanessa

J'ai interrogé Vanessa, chez elle, dans sa cuisine. Vanessa est née en Colombie. Elle a quitté son pays en 1995 pour venir étudier à l'Université de Lausanne. Elle s'est mariée avec un ami suisse et elle a deux enfants. … Après ce moment d'échange elle m'a donné des lentilles à la Colombienne pour que je puisse les manger au travail à midi…

 

C : Dans ton pays en Colombie, comment se déroule un repas ?

V : Il faut déjà préciser que pour moi le repas est très important. J'ai besoin, et je pense que la plupart des gens là-bas pensent comme ça, de m'asseoir à table trois fois par jour pour manger.

C'est une tradition de ton pays de prendre du temps pour les repas ?

Oui, prendre du temps pour les repas et surtout discuter avec les autres, c'est un moment très social. On voit rarement des personnes manger seules, on mange avec les autres.

la cuisine permet la socialisation

Les autres c'est qui ?

C'est la famille, frères, sœurs, les parents, tes collègues de travail, les copains de l'université.

Donc tu vois rarement des gens manger seuls ?

Oui, c'est vraiment un échec social si tu manges seul.

Chez toi, c'est qui qui préparait à manger ?

Là-bas toutes les familles ont une femme de ménage, elle fait à manger, mais elle ne mange pas avec toi. Je trouve un peu injuste, mais c'est comme ça. Autrement c'est la mère qui prépare.

Est-ce que tu te souviens de repas que tu aimais beaucoup ?

Ma famille vient d'une certaine région de la Colombie, Medellin, fameuse pour la drogue, en est la capitale. Il y a un plat de haricots que tu manges avec de l'avocat, du riz, une espèce de Chili con carne avec la banane planta. Ce plat on le mangeait toujours le samedi et on avait toujours des invités. On les invitait exprès pour manger ça.

Et c'était ta mère qui cuisinait ?

Oui c'est ma mère qui faisait, la femme de ménage l'aidait, mais c'était surtout ma mère.

Tu as appris à le faire en regardant ta mère cuisiner ?

j'ai appris en regardant cuisiner ma mère Oui, ma mère et la femme de ménage. Ce plat me rappelle chez moi.

Tu le fais ici ?

Oui, dès que je peux je le fais, mais malheureusement je n'ai pas tous les ingrédients. Du fait que là-bas il y a des femmes de ménage, c'est des repas très élaborés, il faut avoir beaucoup de temps pour préparer tout ça. Ici avec le rythme de vie qu'on a, c'est très difficile. ça demande des heures.

stress et cuisine !

Ce n'est pas uniquement une assiette principale, mais à côté il y a beaucoup de choses qu'il faut manger avec. Par exemple, il y a la viande de porc, une sauce avec les tomates et de la coriandre, des bananes planta qui sont mûres, et ici c'est très difficile de faire mûrir des bananes planta. Des fois je me rencontre avec ma sœur qui vit en suisse allemande et on essaye de préparer ce repas ensemble. Je le fais quand j'ai des invités, je ne le fais pas pour une journée normale.

le plaisir de cuisiner ensemble

Tu disais qu'ici il n'y a pas les ingrédients. Mais comment tu fais pour faire la cuisine de ton pays ?

J'essaye d'adapter. Par exemple ici il y a un certain type de haricots qui ressemble à celui de mon pays. Il m'a fallu longtemps pour le trouver. Il faut s'installer et trouver où ils vendent les choses.

l'importance des ingredients

Parce qu'il n'y a pas de traiteur ?

Non, il y a un traiteur à Lausanne où il y a de tout, cuisine arabe, cuisine d'Amérique latine, mais ce n'est pas spécialisé pour la Colombie. Avant il y avait des magasins spécialisés d'Amérique latine, mais ils ont du fermer car ils n'avaient pas beaucoup de succès.C'est seulement dans ce magasin que je trouve des ingrédients similaires.

Mais tu ne trouves pas tout ?

Non, je m'adapte, j'achète des ingrédients qui ressemblent pour donner plus ou moins le même goût.

la cuisine permet la crçativité

Tu as l'impression que ça change ?

Oui, ça change, ce n'est pas la même chose. Depuis que je suis petite, au petit-déjeuner, je mangeais des galettes de maïs. Je me rappelle toujours, c'était mon père qui faisait. Là-bas on ne mangeait presque pas de pain. C'est nouveau pour moi de manger du pain. Cette galette c'est pour moi revenir à l'enfance. Ca me donne aussi un sentiment de securité de manger ça. J'en ai besoin surtout quand je suis enceinte. Je dois manger des galettes de maïs et heureusement dans ce traiteur dont je te parlais avant, je peux acheter la farine pour faire ces galettes. Si quelqu'un me demande quel est ton dernier repas, je réponds les galettes.

quel sera mon dernier repas ?

Pour toi c'est donc important de manger de temps en temps la cuisine de ton pays!

C'est très important. Quand il y a des jours où je ne suis pas tellement bien, j'ai besoin de faire quelque chose de chez moi, peut-être pour me rassurer.

la cuisine remonte le moral

Je cuisine de temps en temps avec une copine indienne. Nous avons un peu la même façon de mélanger les choses, par exemple tu sers le riz avec les pommes de terre et la viande.

Vous arrivez à faire une cuisine nouvelle?

Oui, c'est en fait un mélange entre les deux. Nous avons la même façon de mélanger les choses. Pour moi au début c'était dur, parce que la cuisine ici n'est pas aussi variée qu'en Colombie. Ici tu manges p. ex. du riz et une salade et il y a plutôt plus de quantité que de variété d'ingrédients dans la même assiette.

Tu as donc changé ta façon de faire, tu as adapté la cuisine colombienne à la suisse ou vice-versa. Par ex., ton assiette est plutôt variée ou plutôt comme ici ?

Non, c'est plutôt comme ici parce que c'est aussi une question d'avoir une alimentation saine. Chez nous on mange la viande tous les jours. Ici je la fais de temps en temps et je la remplace par du fromage. Chez moi il n'y en a pas. Je pense que j'ai adapté plutôt la cuisine suisse à la cuisine colombienne.

C'est la cuisine colombienne qui devient plus équilibrée par l'influence de la cuisine suisse ?

l'influence de la cuisine suisse

Oui, par ex. hier j'ai fait des lentilles avec du riz, ça c'est typique de chez moi, mais chez moi on ajouterait encore des choses, la viande, la banane planta, une sauce spéciale. Moi je fais moins varié, mais quand même une cuisine que j'ai appris chez moi. Je sais maintenant comment équilibrer les choses.

le besoin de manger sain

Tu pourrais imaginer de ne plus manger la cuisine de chez toi ?

Non, c'est un peu comme refuser mes racines, ça fait partie de moi et c'est surtout le sentiment que tu as quand tu manges quelque chose de chez toi qui est important.

ça te fait quoi ?

la cuisine réveille des souvenirs

J'ai des souvenirs, des bons souvenirs surtout. J'ai des copines colombiennes qui m'appellent des fois pour me dire : «écoute, viens ici parce que je viens de préparer ÜçaÝ de chez nous». C'est une opportunité pour se rencontrer et on se réjouit de manger. Ici c'est différent, vous mangez tous à table pendant le repas, chez nous ce n'est pas important si les gens sont ensemble ou pas. Tu ne dois pas t'asseoir nécessairement à table. Tout le monde mange mais à des moments différents et à des endroits différents. C'est un peu plus libre. Ici il y a un peu plus de règles. Quand tout le monde est à table tu dis «bon appétit» et tu manges. Lé bas tu te sers, mais tu ne dis pas bon appétit. C'est une autre façon de faire, par exemple en Colombie quand on cuisine, on fait uniquement de la cuisine colombienne. Ici par contre, je peux cuisiner indien, chinois, parce que je trouve tous les ingrédients.

la ville permet de connaître des nouvelles cuisines

Ce que j'ai appris ici, c'est de bien mélanger les ingrédients et de faire une cuisine plus saine.

Mais là-bas la cuisine est «moins saine» parce qu'ils n'ont pas le choix ?

Oui, il n'y a pas par ex. la culture du fromage les produit laitiers sont chers et ne sont pas très «cultivés», dans les supermarchés, tu ne trouves pas une grande variété de produit laitier, il y a plutôt des fromages sans goût. Il y a tous les jours la viande mais en petite quantité. C'est la seule source de protéines.

Est-ce qu'il y a une recette typiquement suisse que tu as modifié ?

Oui, dans la fondue j'ai rajouté de l'ananas. C'est bon. Tu fais la fondue tu prends des morceaux de pain et de l'ananas frais et tu mets le fromage dessus. Je me rappelle qu'avant de venir en Suisse, je suis allée dans un restaurant suisse en Colombie et ils faisaient aussi la fondue avec l'ananas.

Ton mari aime ce que tu fais ?

Il aime, mais il y a des mélanges qu'il ne va jamais accepter. Par exemple des fois on mange une soupe avec la banane, pour lui c'est inconcevable. Et encore, il y a ce fromage qui n'a pas de goût et qui se fond très facilement, tu l'ajoutes au chocolat chaud. Moi j'adore, lui non. Tous les gens d'ici trouvent ça dégoûtant. On a aussi beaucoup tendance à mélanger salé-sucré. De temps en temps au petit-déjeuner, je mange du pain avec la confiture en même temps que du fromage. ça pour lui c'est exclu.

Pour toi c'est important de garder ces habitudes ?

Oui, moi je n'y renonce pas. Je pense que c'est surtout l'association que tu fais quand tu manges quelque chose qui t'as plu quand tu étais petit, qui fait qu'un plat te plaît plus qu'un autre. Ma mère lors des dernières vacances en Colombie, a préparé une soupe spéciale pour moi, elle essayait toujours de faire la cuisine typique.

nourriture et affectif

Ca me fait aussi plaisir que mes enfants, aiment la cuisine Colombienne : les galettes de maïs, la banane planta. ça veut dire qu'ils partagent aussi les racines que j'ai. Je veux leur montrer comment c'est la cuisine là-bas, qu'est-ce qu'on mange. Pour moi c'est une espèce de communion avec eux, car ils ont aussi des racines sud-américaines.

cuisiner pour ses enfants

Maintenant ici j'ai un choix impressionnant. Je peux cuisiner italien. Avant je n'aimais pas les pâtes car en Colombie elles étaient mal préparées. Elles étaient trop cuites, la sauce n'était pas bonne. J'associais toujours à l'école, quand ils ne savaient pas quoi faire, ils faisaient des pâtes. Ici chaque assiette est vraiment authentique parce que tu peux avoir tous les ingrédients qu'il faut, plus ou moins. Par exemple pour la cuisine italienne tu as tout. Indien aussi. Avant de venir ici je ne connaissais pas la cuisine indienne. La cuisine fait partie des racines. Je pense que tous les étrangers adorent la cuisine de chez eux et ils ne vont jamais renoncer à ça. Quand je fais une assiette colombienne et les gens n'apprécient pas je suis triste. ça m'est arrivé une fois d'inviter des collègues de travail manger du chocolat chaud fait à ma manière. Ils m'ont juste dit : «oui, c'est assez spécial», ça voulait dire qu'ils n'aimaient pas. Je me suis sentie un peu blessée, je me sens rejetée. C'est différent si c'est quelqu'un de colombien qui me dit qu'il n'aime pas. En plus je prépare la cuisine colombienne uniquement aux amis proches, aux gens que j'aime. Je me sens un peu en risque avec les invités si je fais quelque chose de Colombien. J'ai peur de ne pas être acceptée.

être acceptée par la nourriture

Ma sœur partira en septembre en Colombie. Je lui ai demandé de me ramener les ingrédients pour préparer la soupe colombienne. Je n'ai rien demandé d'autre. Je vous inviterais.

 

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